Accueil A la une Docteur Hechmi Louzir, Directeur de l’Institut Pasteur de Tunis (IPT), à La Presse : « Nous ne savons rien encore sur l’efficacité du vaccin annoncé par la Russie »

Docteur Hechmi Louzir, Directeur de l’Institut Pasteur de Tunis (IPT), à La Presse : « Nous ne savons rien encore sur l’efficacité du vaccin annoncé par la Russie »

Cela fait plusieurs mois que la course au vaccin contre le coronavirus a été lancée. Le virus, qui n’a pas encore livré tous ses secrets, est responsable de la mort de 800.000 personnes à travers le monde. Du jamais vu depuis la grippe espagnole. Ce dernier qui se propage très rapidement semble néanmoins avoir perdu de sa virulence depuis la première vague de contamination qui s’est déclarée dans le monde le mois de février dernier. Aujourd’hui c’est sa capacité à muter plusieurs fois qui pourrait donner du fil à retordre aux équipes de recherche qui planchent sur le développement d’un vaccin dans plusieurs pays . Le directeur de l’Institut Pasteur de Tunis Docteur Hechmi Louzir a bien voulu apporter son éclairage sur l’annonce du vaccin russe, le projet d’élaboration d’un vaccin par l’IPT et sur le long cheminement qui conduit au développement du vaccin contre le coronavirus et dont l’efficacité demeure, pour l’heure, un mystère. Entretien

Que pensez-vous de l’annonce de la Russie qui a déclaré avoir trouvé un vaccin contre le coronavirus?

L’élaboration d’un vaccin est un processus scientifique qui obéit à plusieurs phases. Il y a tout d’abord ce qu’on appelle les phases précliniques qui correspondent à la première étape du processus de développement d’un vaccin. Elles incluent la toute première étape qui est l’innovation in vitro suivie de l’étape de l’expérimentation sur l’animal. On observe si ce vaccin entraîne une réponse immunitaire chez l’animal et on vérifie s’il a des effets secondaires en réalisant des tests de toxicité. Un brevet d’invention est ensuite déposé et un article est publié dans une revue scientifique de renommée mondiale pour présenter les premiers résultats du processus de développement de ce vaccin. Il y a ensuite les phases cliniques qui comprennent  trois grandes étapes. La première étape consiste en l’expérimentation sur l’homme. On va vérifier si le vaccin est toxique, s’il a des effets secondaires…

La seconde étape consiste à vérifier l’immunogénicité de ce vaccin, c’est-à-dire sa capacité à induire une réponse cellulaire et la production d’anticorps. Un second article sur les résultats est publié dans une revue scientifique. On passe ensuite à la phase trois qui est la phase la plus importante. Au cours de cette phase déterminante, l’équipe du laboratoire de recherches collabore généralement avec un  grand industriel pour pouvoir la réaliser car elle a un coût. Il s’agit d’expérimenter le vaccin sur un groupe de volontaires à grande échelle, qui peut aller jusqu’à 30.000 personnes. On constitue deux groupes, un groupe sur lequel on va expérimenter le vaccin et un groupe placebo. On va ensuite pouvoir mesurer l’efficacité du vaccin en termes de pourcentage. Or, la Russie a réalisé les phases un et deux mais n’a pas effectué la phase clinique trois, ce qui est dérangeant car nous ne savons rien sur l’efficacité du vaccin russe. Si ce vaccin venait à être commercialisé aujourd’hui ou demain, je pense que notre pays ne l’achèterai pas dès lors que nous ignorons tout sur le taux d’efficacité de ce vaccin.

Si un vaccin contre le coronavirus venait à être commercialisé à l’échelle mondiale, la Tunisie pourrait-t-elle l’acheter dès lors que son coût est élevé? Quelle est la procédure en vigueur pour l’achat d’un vaccin?

Une commission a été  constituée cette semaine au sein du ministère de la Santé pour se charger spécialement de cette question. Cette commission est composée d’experts en vaccinologie, en immunologie, et des représentants  de la Pharmacie centrale, de la Direction des médicaments et du  centre de pharmacovigilance. Cette commission joue un rôle de veille à travers le suivi et l’analyse du développement des vaccins à l’échelle mondiale.  Elle élabore les stratégies et dans le cas où un vaccin est commercialisé, elle a, alors, pour mission d’entrer en contact avec l’industriel qui le fabrique afin de commander les doses nécessaires de vaccin destinées  aux catégories prioritaires. C’est une procédure qui peut prendre quelques mois. 

L’Institut Pasteur prévoit-il d’élaborer un vaccin local?

Nous avons au sein de l’Institut Pasteur une équipe de recherche qui a une grande expertise dans le domaine des vaccins à base d’ADN. Cette équipe conduite par le Dr. Chokri Bahloul a, par le passé, élaboré un vaccin contre la rage. Ils sont actuellement en train de travailler sur un projet de développement d’un vaccin contre le coronavirus. Ils ont effectué les premiers essais en exprimant une protéine du coronavirus et ont réalisé les phases précliniques en effectuant des tests sur le lapin et la souris. Ce projet de recherche, qui est actuellement au stade d’évaluation et d’expérimentation, a abouti à des résultats encourageants par l’induction d’une réponse immunitaire chez ces cobayes. Ce projet a permis à l’équipe de l’Institut Pasteur de suivre l’évolution de la recherche dans le domaine des vaccins ADN et d’être dans la course au vaccin bien que les recherches soient probablement abandonnées si un vaccin est finalement trouvé et commercialisé à l’échelle mondiale. Il faut rappeler que la phase clinique trois a été réalisée pour huit vaccins.

Comment un vaccin contre le coronavirus peut-il être efficace alors que le virus a probablement muté plus d’une fois?

Il est vrai que ces variations peuvent altérer l’efficacité du vaccin. Les équipes de recherche ont analysé  et comparé les différentes souches du virus et se sont intéressées à la protéine qui a le moins changé afin de l’exprimer. C’est ainsi qu’on peut conférer de l’efficacité à un vaccin.

Pensez-vous qu’en se répliquant plusieurs fois, le virus a finalement perdu de sa virulence?

Nous avons pu observer que sur les 1.200 nouveaux cas enregistrés depuis la fin du confinement et l’ouverture des frontières, plus de 90% sont asymptomatiques. Ce taux est plus élevé que celui qui a été enregistré lors de la première vague de contamination par le coronavirus. Le virus semble avoir changé de comportement.

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